Muriel Salmona

1jour1actu : L’attentat de Nice a marqué beaucoup d’enfants, y compris ceux qui habitent loin de cette ville. Pourquoi ?

Muriel Salmona : Il est normal que les enfants se sentent bouleversés. Cet attentat a eu lieu dans une ville de vacances, pendant le feu d’artifice, un soir de sortie en famille. Quand on est enfant, tout cela parle. Ce sont des scènes que l’on peut facilement se représenter dans sa tête. Mais du coup, c’est insécurisant : on se dit que même pendant une fête, accompagné de ses parents, le pire peut arriver.

Comment peut-on savoir que l’on se sent angoissé face à un tel événement ?

Muriel Salmona : Souvent, on a des nuits perturbées : on se réveille, on fait des cauchemars… On a l’impression de se refaire toujours le même film dans sa tête.

Quels conseils donneriez-vous alors à nos jeunes lecteurs ?

Muriel Salmona : D’abord, surtout, ne pas regarder de photos ou de vidéos de ce qui s’est produit. Vos lecteurs doivent savoir qu’il faut l’expérience et les connaissances d’un adulte pour « digérer » certaines images. C’est comme un matelas qui amortit les chocs. Or, quand on est enfant, on se prend les images en pleine figure, sans « amortisseurs ».

Vous dites aussi qu’il faut parler si l’on se sent angoissé. Il ne faut pas rester seul avec ses peurs. Pourquoi ?

Muriel Salmona : L’angoisse naît dans une zone du cerveau bien précise. Et si on ne fait rien, elle se développe et bloque la partie du cerveau qui nous permet de penser et de raisonner. Cette partie étant paralysée, l’angoisse se répand et prend toute la place.

Et donc ?

Muriel Salmona : Le fait de parler, de mettre des mots sur ce qui nous fait peur, permet de couper l’activité du cerveau qui dysfonctionne. On va pouvoir mieux contrôler son stress. On redevient maître de ses émotions.

Et à qui parler, dans ces cas-là ?

Muriel Salmona : À ses parents ou à n’importe quel adulte qui prend le temps d’écouter. Et si jamais ce n’est pas suffisant, il faut voir un spécialiste qui va prescrire un traitement pour soigner la zone du cerveau qui a été touchée par le traumatisme.

Pensez-vous qu’une façon de mieux vivre après les attentats est de se dire que tout cela est désormais normal, et qu’il faut faire avec ?

Muriel Salmona : Certainement pas ! Ce qui se passe est absolument anormal. La mort d’un papi, d’une mamie est dure, mais normale. Pas la mort de personnes victimes d’attentat. La meilleure façon de faire face est de se mobiliser pour que ça ne reproduise pas.

Et comment ?

Muriel Salmona : Même quand on est enfant, on peut agir. Par exemple, en prenant soin des autres, en refusant la violence. C’est une façon de dire : « Je ne veux pas de ce monde-là. »
 
 * Muriel Salmona est psychiatre. Elle soigne de nombreux patients, victimes de traumatismes et d’actes de violence. Elle a publié plusieurs ouvrages aux éditions Dunod.

Propos recueillis par Catherine Ganet

Merci à Mme Salmona pour la photo (Reproduction interdite).