Maxime Renahy était employé dans la finance, à Jersey. Il a découvert que les banques et les entreprises trichaient pour ne pas payer d’impôts, l’argent que les Français donnent à l’État pour payer les écoles, les hôpitaux, etc.
Comment vous êtes devenu espion ?
Maxime Renahy : Quand j’habitais à Jersey, une île anglaise, je travaillais dans un cabinet d’avocats. Sur l’île, il y avait plein de banques, et plein de gens qui viennent cacher leur argent : ils ouvrent une fausse entreprise, ils achètent des morceaux de cette entreprise, des actions, et les revendent quand ça leur rapporte beaucoup d’argent, mais c’est interdit. Alors, je suis allé voir les services secrets français pour leur dire : “J’ai plein d’informations à vous donner.” C’est comme ça que j’ai travaillé des années pour les services secrets français. J’ai fait ce travail gratuitement à Jersey, puis au Luxembourg. Ensuite, je trouvais que mon travail aidait les entreprises françaises mais pas les citoyens, donc ça ne m’allait pas et je suis parti. Maintenant, je travaille avec les syndicats, qui aident les salariés à se défendre quand des entreprises licencient les gens.
Moi, je prenais les informations, et je les rapportais à l’agent des services secrets. Lui, il me donnait trois sortes de renseignements à trouver : une liste d’informations à trouver sur des sujets précis, toutes les informations que je voulais, et des gens qui étaient dans la finance, comme moi, et qui pourraient donner des informations aussi.
Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple de ce que vous avez rapporté ?
Maxime Renahy : J’ai d’abord vu que beaucoup de gens avaient beaucoup de secrets. Ils sont dans les paradis fiscaux pour qu’on ne sache pas ce qu’ils font. Ils trichent, mais ils veulent aussi le cacher. C’est comme une malle au trésor avec plein de secrets. Il y a beaucoup de gens très riches, de politiciens français, qui se mettent dans les paradis fiscaux. C’est comme un paravent : on cache tout.
Est-ce que les services secrets ont une tenue spéciale ?
Maxime Renahy : Non, il faut se fondre dans la foule. Les gens des services secrets sont des militaires ou des civils fonctionnaires. Ils sont habillés comme toi et moi, le premier que j’ai rencontré avait même des cheveux longs. Moi, je faisais de l’espionnage pour l’économie, pas pour la guerre ou d’autres choses. J’allais à mon travail et j’écoutais le plus possible, et je me suis aussi fait plein de copains, pour rencontrer le maximum de gens qui me donnent des informations.
Puisque c’est secret, comment on peut rentrer dedans ?
Maxime Renahy : C’est une bonne question ! Aujourd’hui, il y a un site Internet, mais en 2007 pas vraiment, alors je leur ai écrit une lettre. Comme je n’avais pas de réponse, j’ai appelé, une dame m’a dit d’accord, on va vous rappeler. Et un monsieur m’a rappelé sur une ligne sécurisée, que les espions anglais ou russes ne pouvaient pas écouter.
Ensuite, pour donner mes informations, je rencontrais mon agent dans la rue, dans des lieux publics, à Paris, Nancy, etc. Je devais faire un trajet spécial pour vérifier que je n’étais pas suivi : c’est un itinéraire de sécurité. Un ancien espion m’a appris comment faire cet itinéraire de sécurité, pendant trois jours.
Est-ce que ça arrive que des espions rentrent dans les bâtiments, font semblant qu’ils appartiennent à une entreprise pour prendre des informations ?
Maxime Renahy : Oui, par exemple, quand je suis parti au Luxembourg, j’ai été remplacé à Jersey. Mais les services secrets voulaient un autre espion à ma place, il a fallu le trouver. En fait, on passe son temps à mentir aux gens qu’on connaît, pour que personne ne sache ce qu’on fait. À Jersey, il y a une petite prison. J’ai eu deux amis qui se sont fait taper ou tuer. C’est dangereux.
Est-ce que vous êtes armé ?
Maxime Renahy : Moi, non, surtout parce que je suis dans l’espionnage économique. Mais certains espions sont armés.
Est-ce que vous avez eu des soucis avec des espions russes ou anglais ou d’autres pays ?
Maxime Renahy : Non, mais à Jersey, j’avais trouvé une espionne russe. Les paradis fiscaux, ce sont des nids d’espions ! Tous les pays espionnent les autres pays.
On dit qu’on voit jamais d’espion, mais peut-être qu’on en voit tout le temps ?
Maxime Renahy : Tout le temps, non, il y en a 10 000 en France, mais beaucoup sont dans des bureaux à Paris, certains espionnent le terrorisme, et d’autres sont militaires. Il y a aussi beaucoup de femmes qui rentrent dans les services secrets parce qu’elles sont plus discrètes.
Est-ce que, parfois, deux espions de pays différents parlent ensemble ?
Maxime Renahy : Oui, et dans ce cas on prévient les services secrets que l’autre est peut-être un espion. Moi j’ai connu 8 espions, en tout, mais j’ai dû en voir beaucoup plus.
Est-ce que tous les espions travaillent pour l’État français ?
Maxime Renahy : Non, il y a aussi des espions privés, des officines : ils sont payés par une entreprise pour espionner un concurrent. Mais c’est interdit, donc quand on en trouve, l’État français se bat contre eux.
Le but, c’est d’être le meilleur espion ?
Maxime Renahy : C’est de servir au mieux la France.
Comment vous trouviez les informations ?
Maxime Renahy : Je me baladais dans les bureaux, qui sont immenses. En plus, on travaille dans des open space, de grands bureaux ouverts, sans cloisons : on entend tout ce qui se passe, donc si je t’entends parler d’une affaire, je regarde ce qui traîne sur ton bureau, sur ton ordinateur, à la photocopieuse, je vole ces informations sur ton ordinateur et tes papiers.
Mais aussi en parlant avec les amis, bon ça reste pas tes amis parce que tu les trahis tout le temps. Ils te parlent de leur travail, et toi tu préviens les services secrets pour qu’ils rentrent dans leur ordinateur.
Est-ce que vous avez eu peur ?
Maxime Renahy : Oui, une fois, très peur parce que les Impôts sont arrivés un jour chez tous les clients de mon cabinet d’avocats. Je n’étais pas au courant, mais je voyais que c’étaient toutes les personnes que j’avais dénoncées. Et mes deux supérieurs m’ont interrogé dans leurs bureaux, avec des questions idiotes, un peu bizarres, comme “Est-ce que vous aimez la finance ?”, parce qu’ils se demandaient si c’était moi.
Qu’est-ce que vous risquez avec ce livre ?
Maxime Renahy : Beaucoup de procès, parce que je n’avais pas le droit de parler, c’est interdit par le secret des affaires (les entreprises), le secret d’État (la France) et le secret défense (l’armée).
Alors maintenant, vous ne pourrez plus voyager ?
Maxime Renahy : Non, il y a beaucoup de pays où je ne peux plus aller. Je vais rester en France, ça me va très bien, j’ai beaucoup voyagé avant. Et j’ai beaucoup de choses à faire ici : aujourd’hui, je travaille avec des associations, des syndicats, pour demander des comptes aux grandes entreprises et les empêcher de tricher.
Est-ce que si vous faites un livre, c’est encore plus dangereux ?
Maxime Renahy : Je crois que plus on me voit, moins c’est dangereux pour moi. Et puis, c’est important que les citoyens soient au courant de ce qui se passe, qu’il y a des gens qui trichent avec l’argent. Et il faut que les citoyens sachent qu’on peut demander des comptes à ces entreprises, calmement, et qu’elles sont obligées de répondre.