Seydou* a 26 ans. Il est né au Sénégal, un pays d’Afrique de l’Ouest. Il est arrivé en France en 2013, après avoir traversé la Méditerranée avec d’autres migrants. Voici son histoire.

1jour1actu : Seydou, comment était ta vie dans ton pays ?

Seydou : Comme j’étais orphelin, je vivais avec ma grand-mère qui était très pauvre. Pour elle, il était difficile de mener une vie normale. Et pour moi aussi, c’était pareil, je souffrais. Il n’y avait pas de travail. Pour gagner son pain, c’était dur : il fallait se débrouiller à droite à gauche.

Comment as-tu eu l’idée de venir en France ?

Seydou : C’est venu d’une conversation avec des amis. Ils m’ont dit qu’il y avait des gens qui prenaient le bateau pour émigrer en Europe. J’ai dit : « Mais pourquoi ne pas faire une demande de visa, prendre l’avion, aller en Europe ? Prendre une barque, c’est risqué. » Mais eux m’ont dit : « Non, il n’y a pas de risque. La majeure partie des Africains en Europe sont venus en traversant la mer. Si tu réussis à arriver jusqu’en Libye, tu trouveras des passeurs. Tu les paies, et ils t’emmènent en Europe. » C’est resté dans ma tête. J’avais 22 ans.

Est-ce que tu en as parlé à ta grand-mère ?

Seydou : Au début, elle ne savait pas que j’allais partir pour l’Europe en bateau. Même le jour où je lui ai dit : « Grand-mère, bientôt je partirai en Europe », elle a rigolé en disant : « mais toi, tu es fou ! » J’ai caché les choses, car je savais que si je le lui disais, elle n’accepterait jamais.

Comment as-tu trouvé l’argent pour ton voyage ?

Seydou : Avant d’aller en Libye, je suis allé à Bangui, en Centrafrique. C’était pas facile : j’ai travaillé pour un couple qui m’a beaucoup fait souffrir. Je suis aussi allé en Mauritanie où j’ai travaillé dans les champs. Ça m’a pris deux ans pour mettre de l’argent de côté. Je me suis dit : « je vais tenter maintenant d’aller en Libye. »

 Tu pars donc en Libye…

Seydou : Chez nous, au Sénégal, pour aller en Libye, c’était pas un problème : j’ai pris l’avion. En Libye, il y avait partout des étrangers qui attendaient de traverser. Il y avait beaucoup de nationalités. C’était dur, car les Libyens traitaient mal les gens. Je suis resté trois-quatre jours. Le dernier jour, j’ai eu de la chance : deux Ivoiriens sont venus et m’ont annoncé qu’il y avait des barques qui devaient prendre le départ le lendemain. Ils m’ont dit : « C’est 900 euros. » J’ai dit : « Moi, tout ce que j’ai, c’est 900 et quelques euros, je ne peux pas tout donner et rester sans rien. » Finalement je n’ai payé que 850 euros pour la traversée. Mais il y en avait qui payaient 900 euros ou même 1 000 et quelques euros.

Comment étaient les bateaux que vous avez pris pour la traversée ?

Seydou : C’était des barques, tu ne peux pas dire « bateaux ». On était entassés comme des animaux à l’intérieur. Il y avait deux personnes pour piloter la barque. Un homme à l’avant, et un autre à l’arrière. À l’arrière de la barque, il y avait un moteur à hélice.

Peux-tu nous raconter la traversée ?

Seydou : Les passeurs nous laissaient prendre juste un petit sac, un sandwich. Ils ne voulaient pas qu’on prenne nos affaires avec nous. On est partis à trois barques. J’étais sur la dernière barque. Malheureusement, les deux premières étaient très surchargées : dans une tempête, elles ont fait naufrage. Il n’y a pas eu un seul survivant. Moi, j’ai vu ça. C’est des moments terribles. Ce n’est pas facile à expliquer ou à raconter. J’ai vu plus de 200 personnes mourir devant mes propres yeux. Des gens qui souffraient. Nous, on ne pouvait rien faire.

Tu es arrivé en barque avec les autres migrants à l’île italienne de Lampedusa. Comment es-tu arrivé ensuite en France ?

Seydou : De Lampedusa, j’ai été conduit en Italie où je suis resté 3 semaines environ. J’ai fait la connaissance de deux migrants qui m’ont dit qu’ils voulaient aller en France. J’ai pris le train avec eux. Je les ai suivis. Je ne savais même pas où aller.

Quand tu es arrivé ici, tu ne connaissais personne. Qu’as-tu fait ?

Seydou : La première chose que j’ai faite, je m’en rappelle : je me suis assis dans un kebab. Quelqu’un m’a offert un café et des cigarettes. Puis j’ai marché, j’ai marché, jusqu’à arriver à une autre gare. Je suis resté là cinq jours sur un banc public. Le sixième jour, quelqu’un s’est arrêté pour me parler. Il m’a dit : « Tu fais quoi, là ? Tu es tout le temps assis là ? Tu n’es pas obligé de dormir dans la rue. Tu fais ce numéro, le 115, tu appelles, ils vont te donner un endroit pour dormir. » J’ai été dans des foyers d’accueil. Mais ce n’était pas facile pour moi. Je ne dormais plus. Toute la nuit, je restais assis. Je revoyais tout le temps les mêmes images.

Cela fait deux ans que tu es en France. Est-ce que tu rencontres plutôt des gens qui t’aident ou des gens qui sont contre toi ?

Seydou : Ceux qui ne m’aiment pas, je ne les rencontre pas. Moi, je respecte tout le monde. Dans mon immeuble, il y a un vieux voisin : c’est mon ami, et lui aussi dit partout que je suis son ami. Depuis que je suis là, il me conseille toujours de ne pas me décourager. Un prêtre m’a trouvé ce logement. Un psychologue m’a écouté ; des gens m’ont accueilli une semaine au calme, quand c’était très difficile pour moi. Je remercie tous ces gens. Maintenant, ça va mille fois mieux.
* Le prénom a été modifié.