« Allez papa, allez papa… », encourage Nabil (6 ans et demi) en voyant son père en tête d’un 1 500 m. À suivre sa foulée ailée, la première place lui semble promise. Au tableau, le chronomètre s’affole. L’Alsacien Abdelkader Mahmoudi (35 ans) mène un train d’enfer vers un record.
Mais d’un seul coup, au beau milieu de la course, il abandonne, laisse passer les autres, lancés comme des fusées. Lui, plié en deux, les mains sur les genoux, cherche un second souffle. Dans les tribunes, son fils est assommé de déception. Plus tard, son papa lui expliquera « être payé pour lancer la course sur une allure très rapide, qui ne me permettrait pas d’arriver au bout de toute manière. Après, je dois laisser les autres chercher le record… »
Dans le stade, souvent les spectateurs sont aussi déçus parce qu’ils ignorent le sacrifice du « lièvre ».

Une horloge dans la tête

    Le « lièvre » chasse les records sur des distances dites de « demi-fond » ou de « fond », allant de 800 m à 42 km (le fameux marathon). Avant, il est contacté par un organisateur ou un champion. Il signe alors un contrat dans lequel il s’engage à tenir telle ou telle allure avant de s’arrêter.
    À la seconde et au mètre près, le « lièvre » sait exactement où il est : « Nous sommes des métronomes, réglés comme du papier à musique, décrit le Lillois Thomas Larchaud (31 ans). Si je vais trop lentement, j’emmène les athlètes sur un mauvais rythme. Si je vais trop vite, ils “crament”. Je me retourne donc, souvent, pour voir s’ils suivent bien ou pas. Alors, je relance, j’accélère ou freine. »
En tête sur quelques tours de piste, il savoure « être le premier acclamé par le public et passer un peu à la télévision ».

Heureux d’avoir participé…

En athlétisme, les champions courent après leurs services. Sans « lièvre », une tentative de record d’Europe ou du monde ne part pas sur de bonnes bases, et est donc difficile à réaliser : « Même si j’aimerais parfois bien aller au bout, je garde surtout la fierté d’avoir participé à faire tomber tel ou tel record, avoue Abdelkader, le papa de Nabil. Ainsi, je suis fier d’entrer un peu dans l’histoire de mon sport. Seul, je n’aurais jamais pu parce que je n’ai jamais eu le niveau pour être un grand champion. »

                                                                                                  Sophie Greuil